Le manifeste des jaloux et des aigris

Publié le par Pat Rifoe

L’espace public est un lieu d’échanges, de débats et de construction du consensus par la discussion. Chacun autant que possible peut y apparaître, exposer ses arguments, défendre un point de vue. Cette exposition peut prendre un tour polémique soit parce que le sujet en débat est un sujet social, ou des pratiques auxquelles sont attachées certains citoyens.

Tout ou presque, peut faire objet d’échanges, être mis en débat. Tout ou presque… car au Cameroun, il ne fait pas bon s’attaquer aux vaches sacrées.

Les nouvelles  parti des vaches sacrées

L’inde, société de classe, nous offre l’exemple de ces sociétés au sein desquelles, les rapports entre membres issus de castes différentes sont prohibés. Au bas de cette hiérarchie des castes, les intouchables forment un magma d’individus avec lesquels les contacts étaient proscrits. Pour un brahmane par exemple, voir ou toucher un intouchable était source d’impureté.  Les membres des autres castes évitaient donc soigneusement les contacts avec cette classe d’individu. Leur situation a depuis évolué et on a eu un premier ministre intouchable. A l’opposé des intouchables, les vaches sont sacrées en Inde.

Ces animaux font ainsi l’objet d’un culte de la part des indiens du fait qu’elles soient considérées comme liées à différentes divinité.

Vous allez me demander quel rapport avec la question de l’espace public et des débats pouvant y prendre place. Les vaches sacrées comme les intouchables correspondent à deux catégories soustraites à l’espace public. Les intouchables ne peuvent apparaître dans l’espace public, il n’est pas possible de débattre de la sacralité des vaches. Un tabou d’invisibilité frappe les intouchables, et la sacralité protège les vaches de toute possibilité de débat. On les vénère, on n’en débat pas.

Au Cameroun, la constitution récente d’un espace public fait craindre la constitution d’une caste des intouchables ou plutôt une guilde de vache sacrées. Ces sont des personnalités publiques, footballeurs, hommes de médias, artistes, hommes politiques. Leur présence dans l’espace public se limite alors à la vénération, l’idolâtrie, et la fanitude. Il faut les louer, s’extasier devant leurs exploits,  boire leurs paroles comme du petit lait, s’accommoder de toutes leurs conduites et inconduites. Si jamais il vous vient à l’esprit de critiquer un propos, une attitude, un comportement, votre parole est frappée d’irrecevabilité. Celui qui attaque une vache sacrée ne peut être qu’un jaloux, un aigri.

Manifeste des jaloux et des aigris

Oui, je suis un jaloux, effectivement, je suis un aigri, et alors…

Aujourd’hui, aucune critique n’est plus recevable, il n’est plus possible de porter à certains la contradiction au motif que les contradicteurs sont tous autant des jaloux que des aigris.

On balaye d’un revers de la main toute critique, on s’interdit d’en apprécier la pertinence, on se voile la face. Ces critiques, émanent de ceux qui envient une réussite, jalousent des possessions. Pourquoi écouter ces gens qui ne valent pas ceux qu’ils critiquent ?

Sainte Beuve n’est certes pas Victor Hugo, mais la littérature a eu besoin autant de Sainte Beuve que de Victor Hugo.

On assiste aujourd’hui à une disqualification facile de la critique. Cette disqualification tend à stériliser la raison en la limitant à sa seule fonction architectonique.

La raison architectonique disait Bachelard se superpose à la raison polémique. La fonction critique est de ce fait l’une des faces de la raison et doit être réhabilitée.

La critique est plus que jamais nécessaire, qu’elle soit fondée en jalousie ou pas, en aigreur ou non. Je suis un critique, je revendique la fonction critique de la pensée, et ce court texte est le manifeste de ceux, comme moi sont attachés à la fonction critique de la pensée. Ceux là, revendiquent et assument les qualificatifs d’aigris et de jaloux.

Que ces qualificatifs cessent de servir de paravent à une société qui ne veut voir dans aucun miroir ses travers. Qui s’est constituée comme au temps de l’exode des veaux d’or auxquels il ne faut pas toucher.

Oui, je suis jaloux, oui je suis un aigri. Mais, je suis avant toute chose un critique.

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